3 ÉTAPES POUR ENTHOUSIASMER UNE EQUIPE OU UNE ORGANISATION
Il arrive régulièrement qu’un leader en prise de poste soit confronté à une ou plusieurs équipes démotivées. Le plus souvent, il en est informé avant d’accepter la nouvelle fonction, soit par son management soit par les rumeurs circulant dans l’organisation. Il vérifiera lui-même l’état du moral de ses équipes lors des rencontres préliminaires avec les personnes-clés[1]. S’il appert que les équipes sont effectivement en manque d’enthousiasme, il y a de fortes chances qu’un changement de culture soit nécessaire. Or, tout dirigeant ayant dû s’atteler à un changement de culture sait à quel point il s’agit d’une tâche difficile et de longue haleine, surtout si l’équipe ou l’organisation est grande.[2]
Cet article a pour but de faciliter ce travail. Il s’inspire de l’approche simple mais percutante proposée par Ken Blanchard et Sheldon Bowles dans leur livre « Gung Ho! »[3], complétée par les vues d’autres experts sur la question[4] et par ma propre expérience.
Approche en 3 étapes
L’approche comprend trois étapes principales :
- Donner[5] du sens : faire découvrir à tous les membres de l’équipe que leur travail est utile pour le monde (mission), qu’il respecte leurs propres valeurs et qu’il participe à l’effort commun pour atteindre un objectif motivant et partagé (vision).
- Donner de l’autonomie : démontrer aux membres de l’équipe qu’ils sont reconnus comme des personnes (en croissance) plutôt que comme des objets (de production) en les accompagnant sur le chemin vers l’autonomie par la mise en place de règles claires, d’un support constant et d’un feedback constructif.
- Donner de la reconnaissance : nourrir les personnes en tenant compte de la hiérarchie des besoins des individus telle que décrite par Abraham Maslow[6].
Ces trois étapes seront réévaluées et ajustées en permanence à la lueur des résultats de l’équipe ou de l’organisation.
Trois leviers renforcent l’approche : une communication constante au travers de tous les niveaux de l’équipe, un programme de formation ad hoc, et l’utilisation systématique de mesures de progrès claires, stables et fiables.
Trois conditions préalables sont nécessaires au déploiement de cette approche : un sentiment d’urgence pour contrer le sentiment de découragement ou de complaisance, une équipe meneuse forte, et une bonne dose d’humour et de plaisir.
Voyons en détails ces éléments.
Etape #1 – Donner du sens
L’être humain a besoin de sens comme de nourriture. Il doit savoir où il va, pourquoi il y va et pour quoi il y va. Dans le contexte de l’entreprise, cela revient à définir trois aspects essentiels :
1. Quelle est notre mission fondamentale ?
Il s’agit de découvrir la raison d’être, la vocation première de l’équipe ou de l’organisation, non pas en termes d’unités produites mais plutôt en termes d’impact sur le monde. Le processus consistant à poser la question « En quoi notre travail contribue-t-il à améliorer le monde ? » et à tester les réponses par une série de « Pourquoi est-ce important ? » permet de faire émerger la mission fondamentale de l’équipe ou de l’organisation.
2. Quelles sont nos valeurs indéfectibles ?
Il s’agit de découvrir les « vraies » valeurs de l’équipe ou de l’organisation, celles qui serviront systématiquement de guides pour décider et agir, surtout pendant les périodes difficiles et de grandes tensions. Dans ce sens, les valeurs sont les vrais patrons de l’organisation. Le meilleur moyen pour détecter ces valeurs est de constituer une équipe de sept personnes appréciées par leurs pairs pour leurs compétences et leurs valeurs, et de leur poser des questions du genre « Quelles valeurs souhaitez-vous inculquer à vos enfants pour leur avenir professionnel ? », « Conserveriez-vous ces valeurs même si tout allait mal ? » ou « Pouvez-vous imaginer que ces valeurs soient encore valables dans 100 ans ? »[7].
3. Quelle est notre vision ?
Il s’agit de créer l’image d’un succès futur ambitieux mais réaliste pour l’équipe ou l’organisation. Cette image doit être claire et inspirante pour mobiliser l’ensemble des acteurs et faire converger toutes les forces de l’organisation. Pour être effectif, ce processus de création de vision doit impliquer des représentants de l’ensemble de l’équipe ou de l’organisation sinon le risque de rejet par la base est important. Une fois définie, la vision sera communiquée de façon continue à travers toute l’équipe ou l’organisation et sera traduite en stratégie (« Comment allons-nous y arriver en tenant compte des contraintes et de nos ressources ? ») et en une série d’objectifs intermédiaires (milestones) qui jalonneront le parcours vers la réalisation de la vision.
Etape #2 – Donner de l’autonomie
De nombreuses organisations considèrent encore aujourd’hui les membres de leur personnel davantage comme des outils de production que comme des personnes en croissance. C’est non seulement dégradant mais inadéquat eu égard à la complexité du monde actuel. Les entreprises ont besoin de chaque cerveau, de chaque talent, de chaque enthousiasme présents en leur sein. Or ces cerveaux, talents et enthousiasmes ne peuvent fonctionner de façon mécanique mais seulement lorsque leurs détenteurs sont reconnus comme des personnes à part entière. Une fois cette reconnaissance établie, trois actions doivent être mises en place[8] :
1. Mise en place de règles claires :
Tout d’abord, chaque personne doit être placée à sa juste place en fonction de ses compétences actuelles, de son potentiel d’évolution et de son envie de s’impliquer dans son travail. Il est insultant de placer quelqu’un dans une position inférieure à ses capacités et démotivant de placer quelqu’un dans une position pour laquelle il ne dispose pas (encore) des compétences adéquates. Chaque personne doit ensuite disposer d’une description claire des attentes de sa hiérarchie et de ses pairs par rapport à sa fonction, de son rayon d’action, de l’étendue de ses prérogatives, des interfaces avec les autres fonctions, et des critères sur base desquels elle sera évaluée. Chaque individu doit en effet connaître sans ambiguïté le périmètre dans lequel il évolue et les règles en vigueur (ce qu’il peut et ne peut pas faire). Ce périmètre et ces règles constituent le cadre protecteur dont chaque être humain a besoin pour bien fonctionner. Il est évident que la personne aura été impliquée dans la définition de ce cadre afin que ce dernier soit optimalisé pour elle à ce stade de son évolution.
2. Support constant de la hiérarchie :
Chaque personne doit pouvoir compter sur la confiance et le soutien de son management ainsi que sur un dialogue franc et ouvert avec ce dernier. Elle sera systématiquement encouragée à exprimer ses pensées et son ressenti (enthousiasmes, peurs, doutes, colères,…) ainsi qu’à prendre des initiatives dans le respect des règles définies ci-dessus. C’est en permettant à l’individu de se connecter et de s’exprimer aux trois niveaux de son être (pensée, émotion, action) qu’il se sentira reconnu comme une personne à part entière et qu’il pourra mobiliser toute son énergie pour la cause commune définie en étape #1. Un programme de formation ad hoc aidera l’individu à développer ses compétences.
3. Feedback régulier et constructif :
Chaque personne a droit à recevoir régulièrement un feedback objectif et précis tant sur les points positifs que sur les points à améliorer. Cela demande de la part du manager une attention à ce que fait le collaborateur et comment il le fait et une disponibilité suffisante pour fui fournir un feedback régulier.
Etape #3 – Donner de la reconnaissance
Après la reconnaissance de la personne (étape #2), il s’agit de reconnaître et de répondre à ses besoins afin de lui donner le fuel nécessaire pour tenir la distance. Sans ce type de reconnaissance, les individus se découragent plus ou moins rapidement.
La pyramide des besoins d’Abraham Maslow[9] constitue un bon fil conducteur dans cet exercice. Pour rappel, Maslow affirme dans son étude que chez la plupart des individus, les besoins sont hiérarchisés et que les besoins en bas de la pyramide doivent être satisfaits avant de pouvoir passer aux besoins supérieurs. Pour la simplicité, Maslow a structuré les besoins humains en cinq niveaux hiérarchiques représentés sous forme de pyramide.
- Besoins physiologiques : respiration, boisson, nourriture, excrétion, sommeil, sexe,…
- Besoins de sécurité : matérielle, physique, psychologique, affective,…
- Besoins d’appartenance : famille, amis, communauté,…
- Besoins d’estime : de soi, des autres,…
- Besoins d’accomplissement personnel : dépassement de soi, croissance, développement personnel, spirituel,…
Le dirigeant veillera donc à répondre aux besoins de ses collaborateurs en leur fournissant les trois éléments suivants :
1. Un système de récompense équitable :
L’entreprise satisfera les besoins de niveaux 1 & 2 de la pyramide de Maslow par le biais de l’argent, des jours de congé et des avantages en nature fournis aux individus en contrepartie du temps et de l’énergie consacrés. Un système de récompense clair, transparent et équitable est une absolue nécessité pour que les personnes perçoivent ces besoins fondamentaux comme reconnus. Un système de récompense abscons, opaque ou inéquitable génère du stress qui affecte directement la disponibilité de l’individu pour l’organisation.
2. Des encouragements spontanés et continus :
Il existe deux types d’encouragement : les encouragements actifs et les encouragements passifs. Les premiers sont les compliments et autres signaux d’appréciation donnés à l’individu en privé ou en public, de manière formelle ou informelle. Ils satisfont principalement les besoins de niveau 3 chez Maslow. Les seconds sont les marques de confiance de son management et de ses pairs exprimées en déléguant des tâches intéressantes à l’individu et en n’intervenant pas lors de leur exécution. Les encouragements passifs nourrissent les besoins de niveau 4. Les deux types d’encouragement seront prodigués de façon continue, spontanée, individualisée, spécifique et si possible unique.
3. Des défis ambitieux mais réalistes :
Les besoins de niveau 5 de la pyramide de Maslow seront nourris en confiant à l’individu des défis ambitieux mais réalistes pour l’aider à croître, à se dépasser et à réaliser peu à peu son potentiel. Il en résultera une augmentation de son estime de soi et un sentiment de fierté qui démultipliera son implication et l’expression de ses talents dans son travail.
Evaluation des résultats
Les actions reprises dans les trois étapes ci-dessus seront réévaluées en permanence à la lueur des résultats obtenus par l’équipe ou l’organisation. Si les résultats sont pleinement atteints, le dirigeant félicite et célèbre les succès avec ses équipes, sinon il veille à ajuster les actions et encourage les progrès.
Trois leviers
Trois leviers renforcent l’approche globale :
1. Un plan de communication transparent, massif, continu, multimédia et adressé à tous les niveaux de l’équipe ou de l’organisation est indispensable pour changer la culture en profondeur et de manière durable. Cette communication rappellera en permanence comment la mission, les valeurs et la vision de l’organisation sont mises en application au quotidien par l’ensemble des acteurs.
2. Un programme de formation ad hoc sera mis en place pour chaque individu. Ce programme sera défini par la personne elle-même avec l’aide de son manager en fonction de son bilan de compétences et régulièrement remis à jour (2x/an). Il couvrira tant les compétences hard (techniques, managériales,…) que soft (relationnelles, leadership,…).
3. Un système de mesures de progrès clair, stable et fiable permettra à chacun d’évaluer à tout moment où il en est par rapport aux attentes liées à sa fonction actuelle et si possible sa fonction future. Les mesures de progrès seront alignées sur la mission, les valeurs et la vision, et seront établies en termes d’améliorations de processus plutôt que d’atteinte de résultats.
Trois prérequis
Avant de commencer la mise en place d’un processus de changement de culture comme celui décrit dans l’approche ci-dessus, il convient de vérifier si trois conditions préalables sont réunies :
1. Un sentiment d’urgence est-il perceptible dans l’équipe ou l’organisation ? John Kotter[10] considère le sentiment d’urgence comme le nécessaire antidote au sentiment de complaisance qui prévaut généralement dans les organisations. Ce sentiment d’urgence sert également à contrer les forces de résistance et d’entropie tout autant répandues. Si la complaisance ou la résistance est forte, le processus de changement ne mène nulle part car il y a tout simplement trop peu de personnes disposées à changer les choses. Selon Kotter, pour mener à bien un processus de changement, il faut que tout le top management soit convaincu de la nécessité de changer et au moins 75% du personnel. Une enquête de satisfaction auprès du personnel permettra d’évaluer le degré de ce sentiment d’urgence. S’il est trop bas, une communication claire, franche et massive sera mise en place pour décrire la situation sans fard.
2. L’équipe meneuse[11] doit être complète, forte et unie autour de la mission, des valeurs et de la vision. Par équipe complète, j’entends une équipe dans laquelle tous les acteurs majeurs sont présents. Quelqu’un ne faisant pas partie de l’équipe pourrait-il sérieusement compromettre le processus de changement ? Par équipe forte, j’entends une équipe compétente dont les membres ont la maturité suffisante pour aborder ouvertement les conflits, pour mettre les intérêts de l’organisation avant leurs intérêts personnels et pour montrer l’exemple de manière systématique. Par équipe unie, j’entends une équipe où la confiance mutuelle est présente et entretenue, et dont les membres sont alignés sur la vision.
3. Une bonne dose d’humour et de plaisir permettra de garder une saine distance par rapport aux événements et inévitables frustrations, et d’entretenir une ambiance confortable pour l’ensemble des acteurs tout au long du processus de changement.
Conclusion
L’approche décrite ci-dessus demande courage et détermination de la part du management mais le jeu en vaut la chandelle. Permettre à une équipe ou une organisation de retrouver et de maintenir un haut niveau de motivation et un sentiment de fierté par rapport au travail accompli et vis-à-vis de l’organisation qui les emploie est une des grandes satisfactions que peut connaître un manager ou un dirigeant. Cette approche permet en outre à chaque membre d’une équipe ou d’une organisation d’être reconnu comme une personne à part entière et de donner le meilleur de lui-même tant pour son propre bénéfice que pour celui de l’entreprise.
[1] Voir l’article intitulé «Les 7 choses à faire avant le 1er jour » dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.eu.
[2] L’approche exposée dans cet article semble en effet autant valide pour les petites équipes que pour les grandes organisations en tenant compte du fait que la difficulté et la durée du processus sont proportionnelles à la taille de l’équipe ou de l’organisation.
[3] “Gung Ho! – Turn On the People in Any Organization” de Ken et Sheldon Bowles – William Morrow & Co, New York, 1998, traduit en Français sous le titre “Un indien dans l’entreprise – Donnez un nouveau souffle à votre équipe” – Editions d’Organisation
[4] Parmi ces experts, citons Warren Bennis, Eric Berne, Ram Charan, Jim Collins, Stephen R. Covey, John P. Kotter, Vincent Lenhardt, Abraham Maslow, Jerry I. Porras, Will Schutz, Peter Senge, Jack Welch.
[5] J’utilise le verbe « donner » à dessein pour insister sur la responsabilité du dirigeant de l’équipe ou de l’organisation. L’exemple vient d’en haut !
[6] Abraham H. Maslow, “A Theory of Human Motivation” - Psychological Review 50 (1943) – pp. 370-96.
[7] Ces questions m’ont été inspirées par l’excellent article de James C. Collins et Jerry I. Porras, “Building Your Company’s Vision“ - Harvard Business Review, Septembre 1996.
[8] Les spécialistes en Analyse Transactionnelle reconnaîtront l’approche des « 3 P » légèrement adaptée pour le modèle.
[9] Abraham H. Maslow, “A Theory of Human Motivation” - Psychological Review 50 (1943) – pp. 370-96.
[10] Voir le récent ouvrage “A Sense of Urgency” de John P. Kotter, HBS Press, 2008 ainsi que le chapitre 3 du best-seller « Leading Change » de John P. Kotter, HBS Press, 1996.
[11] Voir aussi le chapitre 3 dans « Good to Great » de Jim Collins – HarperCollins Publishers, 2001.