PRISE DE FONCTION - LES 7 CHOSES A FAIRE AVANT LE PREMIER JOUR

Passé le moment de jubilation qui suit l’annonce de sa promotion à un nouveau poste de leadership auquel il aspirait, le manager est généralement submergé par un flot de questions : « Quel sera mon nouvel environ­nement ? Quels seront les enjeux ? Serai-je à la hauteur ? Qu’attend-on de moi ? Que dois-je faire en premier lieu ? Que dois-je dire ? A qui ? Quels signaux dois-je envoyer ?... ». Ces questions sont légitimes et doivent trouver réponse avant de commencer effectivement dans la nouvelle fonction. Démarrer un nouveau rôle de leadership nécessite en effet une solide préparation. Or pris dans le tourbillon des affaires courantes et dans l’intention louable de clôturer leur ancien job dans les meilleures conditions, beaucoup de managers ne préparent pas suffisamment leur entrée en fonction et manquent ainsi une belle opportunité de démarrer dans les meilleures conditions. Le succès d’une prise de poste dépend en effet de la qualité de la préparation avant le premier jour.

Je voudrais aborder dans cet article les éléments essentiels à préparer pendant la période qui s’écoule entre le moment où le leader accepte le nouveau mandat et le premier jour effectif de sa prise en fonction. Cette période est généralement de quelques semaines, parfois de quelques mois, dans certains cas de quelques jours. Au fil de mes lectures sur le sujet (1) et des sessions de coaching avec des leaders en prise de poste, j’ai pu identifier sept éléments-clés. Il ne s’agit pas d’étapes séquentielles mais plutôt d’une série d’aspects à gérer de concert, les uns alimentant les autres.

Remarque préalable : Pour des raisons de simplicité, j’utiliserai ici indifféremment les termes manager, leader et dirigeant. Nous avons vu dans un autre article les différences – importantes – à tenir en compte lors d’une prise de poste en fonction du niveau de management dans l’organisation (manager de 1er niveau, de 2ème niveau,… jusqu’au CEO).(2)

Elément #1 – Clôturer mentale­ment le poste actuel

Le passage d’une fonction à l’autre se passe souvent dans une certaine confusion. Il faut régler une masse de chantiers en cours dans l’ancien job et déjà se projeter mentalement dans le nouveau rôle. Il arrive même que le manager doive mener les deux jobs de front en attendant son successeur dans l’ancien, ce qui rend la ligne de démarcation entre les deux positions encore plus floue. L’antidote à cette confusion est d’assurer mentalement une transition claire et rapide. En pratique, dès que le manager est informé d’une nouvelle prise de responsabilités et même avant l’annonce officielle, il doit prendre du temps pour faire le passage mental entre les deux positions. Cela se fait en trois phases :

  • Dès que l’occasion s’en présentera mais assez rapidement, par exemple le week-end suivant, il fêtera sa promotion avec ses proches.
  • Ensuite il passera en revue les événements marquants de son ancien job et pensera consciemment à ce à quoi il devra renoncer en quittant cette position (certains avantages, ses relations, ses succès, la reconnaissance, un certain confort,…). Il s’agit d’un processus de deuil dont l’impact émotionnel n’est pas à sous-estimer (3).
  • Finalement, il accueillera mentalement l’arrivée du nouveau poste et réfléchira attentivement aux différences entre les deux fonctions et les implications en termes de changement dans la façon de penser et d’agir. A nouveau, cette mutation est moins facile qu’elle n’y paraît à première vue et ne peut être bâclée. Elle provoque un shift mental qui facilitera la clôture effective de l’ancien job et une réelle ouverture vis-à-vis des exigences de la nouvelle position.

Verbaliser les étapes 2 et 3 à un conseiller ou à une personne de confiance renforce le processus de transition.

Elément #2 – Se documenter sur la nouvelle situation

Même s’il connaît déjà l’organisation ou le département dont il prendra la direction, le manager doit faire table rase de ses préjugés et analyser la nouvelle situation à partir de zéro. A défaut, le risque d’angles morts est bien réel. Pour assurer que son radar tourne à 360°, il rassemblera et lira toute l’information disponible (plans d’affaires, présentations, brochures, rapports d’audit, rapports d’évaluation,…) lui permettant d’en apprendre un maximum sur son nouvel environnement avec un regard neuf. Au travers de ce travail de compilation, le dirigeant se fera une première idée du contexte dans lequel il atterrira et des véritables enjeux du département ou de l’organisation dont il prendra la charge. Cette pré-analyse lui sera très utile à la fois pour faire son propre bilan de compétences, pour préparer une liste de questions-clés à poser à son N+1 et aux principales parties prenantes qu’il va rencontrer, pour dresser les grandes lignes de son agenda stratégique. (4)

Elément #3 – Faire son propre bilan et se préparer psycholo­giquement

Sur base d’une vision plus claire de ce qui l’attend, le manager peut faire son auto-évaluation en termes de forces, faiblesses, besoins, aspirations, peurs, style, manies, ego,… « Connais-toi toi-même " : la fameuse inscription delphique est d’autant plus une nécessité que le poste de leadership est élevé. Le manager doit savoir sur quelles forces il peut compter, connaître son style naturel de leadership, comment il se comporte en situation de stress intense, de quel type de reconnaissance son ego a besoin, comment il réagit à un surcroît de pouvoir, quelles faiblesses il doit compenser en s’entourant d’autres profils complémentaires,… Il se préparera aussi psychologiquement à une période très dense où les moments de loisirs seront rares. Il préviendra son entourage familial de son manque de disponibilités et s’assurera de leur soutien. (5)

Elément #4 – Identifier et rencontrer les personnes-clés

Les personnes-clés sont les individus qui peuvent directement impacter les chances de succès de la nouvelle position du dirigeant. Il identifiera donc avec soin ces personnes, vers le haut de la hiérarchie (son patron direct, son patron indirect dans une organisation matricielle, son N+2, le ComDir, le ComEx, la secrétaire de son patron,…), latéralement (les pairs, les alliés, les clients principaux, les partenaires,…), et vers le bas (les collabo­rateurs directs et indirects, les personnes de support,…). Tout l’art est d’identifier les bonnes personnes et de ne pas en oublier l’une ou l’autre, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la suite du mandat. Plusieurs individus peuvent aider dans ce processus d’identification des personnes-clés : le prédécesseur dans la fonction, un mentor ou un contact aux ressources humaines. Une fois la liste des personnes-clés établie et en tenant compte du temps disponible, le manager rencontrera les plus importantes d’entre elles en respectant un certain ordre (à la fois pour des raisons d’efficacité et pour ménager les susceptibilités) et en se déplaçant lui-même. En général, la première personne à rencontrer est le N+1, ensuite certains membres influents du ComDir ou du ComEx, certains pairs et particulière­ment ceux qui étaient candidats au même poste, certains clients critiques et quelques collaborateurs-clés. Certaines rencontres auront lieu face à face, d’autres pourront faire l’objet d’une conversation téléphonique. Toute rencontre sera soigneusement préparée et une courte liste de questions ouvertes sera systématiquement posée (p.ex. qu’espérez-vous que je fasse ?, que craignez-vous que je fasse ?, que craignez-vous que je ne fasse pas ? que faut-il absolument préserver et pourquoi ?, …). Le dirigeant veillera à poser strictement les mêmes questions par catégories d’interlocuteurs pour ne pas orienter les réponses et pouvoir comparer les différentes réponses par la suite. L’emploi d’un carnet où il notera ce qui est dit s’avèrera particulièrement utile durant cet exercice. Le manager sera attentif à la qualité de son écoute et à ne pas filtrer ce qu’il entend. Il en profitera pour identifier le mode de communication le plus approprié avec chaque personne-clé et particulièrement son N+1 (en termes de media, de style et de fréquence) et pour comprendre ce qu’on attend de lui, négocier les futurs succès et les critères sur base desquels il sera évalué (6). Il observera aussi les personnes rencontrées et évaluera le niveau de pertinence de leurs réponses, leur enthousiasme, et sur qui il pourra compter. Il prendra la mesure de la culture en vigueur dans sa nouvelle entité. Un avantage supplémentaire à planifier de telles rencontres est la crédibilité acquise aux yeux des interlocuteurs avant même de commencer.

Elément #5 – Préparer son agenda stratégique

Un agenda n’est pas un planning. A ce stade le dirigeant ne pourra avoir une vision suffisamment claire de la situation pour établir un planning détaillé ou une stratégie précise. Mais le manager devra avoir une idée claire de ses grandes lignes directrices, des sujets à traiter en priorité, et du cadre de travail à mettre en place pour lancer les premières actions. Il préparera donc soigneusement son agenda stratégique pour les 100 premiers jours afin de s’assurer de garder le cap au cœur de cette période particulièrement chaotique. Cet agenda comprendra :

  • la liste des parties prenantes à rencontrer en priorité (clients importants, partenaires,...),
  • les points principaux à communiquer et sous quelle forme,
  • les domaines à traiter en priorité,
  • les personnes à déplacer et les profils à pourvoir en priorité,
  • les processus à mettre d’urgence en place,
  • les indicateurs de progrès,
  • un ou deux succès rapides,….

Nous aborderons ces différents aspects plus en détail dans un autre article (7).

Elément #6 – Comprendre et se positionner par rapport à la culture

Chaque entité a sa propre culture. Il s’agit de l’ensemble des règles explicites et implicites, degré de tolérance par rapport à ces règles, habitudes, styles et jargon qui régissent le fonctionnement d’un groupe ou d’une communauté d’individus. Le nouveau manager doit rapidement en avoir une bonne compréhension afin d’évaluer comment se positionner par rapport à cette culture. Pour ce faire, il posera les « bonnes » questions à quelques personnes de confiance et écoutera attentivement leurs réponses (8). Rapidement, de grandes tendances se dessineront. Trois choix s’offriront alors à lui :

  • Conservera-t-il la culture existante ?
  • La fera-t-il évoluer graduellement ?
  • La changera-t-il immédiatement de manière drastique ?

C’est le contexte et non l’ego du leader qui déterminera la meilleure attitude à avoir par rapport à la culture. L’important sera de choisir consciemment une des trois approches et de bien sûr vérifier en permanence si ce choix est adapté à la situation. Un manager ayant choisi l’option 2 (la plus courante) pourra enclencher un traitement de choc (option 3) si les choses empirent. (9)

Elément #7 – Veiller aux aspects logistiques

Afin de ne pas être confronté le premier jour à des problèmes logistiques, le manager veillera à trouver une personne de confiance (secrétaire, assistant, personne aux ressources humaines,…) qui réglera tous les aspects logistiques (bureau, mobilier, téléphone, PC, tableau, clés, badge,…) avant son arrivée dans son nouvel environnement.

 

Conclusion

La phase de démarrage dans un poste de leadership débute dès l’annonce de la promotion à la personne et l’acceptation par celle-ci de sa nouvelle position, donc bien avant l’annonce officielle et a fortiori du premier jour de prise de fonction. Prendre soin des sept éléments ci-dessus permettra au nouveau leader d’arriver confiant et préparé au premier jour de son mandat. Il saura ce qui l’attend, quelles personnes il doit rencontrer et dans quel ordre, bénéficiera déjà d’une certaine crédibilité et pourra d’emblée imprimer sa marque. Eu égard à l’importance des enjeux tant au niveau de la personne qu’au niveau de l’organisation (10), une telle préparation ne doit pas être négligée.

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  1. Dans leur livre « You’re in Charge – Now What? – The 8 Point Plan » – Crown Publishing, 2005 Thomas J. Neff et James M. Citrin parlent du compte à rebours. Voir aussi « The First 90 Days: Critical Success Strategies for New Leaders at All Levels » de Michael Watkins - Harvard Business School Press, 2003 ; “Right from the Start: Taking Charge in a New Leadership Role” de Dan Ciampa & Michael Watkins, HBS Press, 1999 ; et “The New Boss: How to Survive the First 100 Days” de Peter Fisher, KoganPage Ltd, 2007, traduit de l’original allemande publié en 1993.
  2. Voir l’article intitulé “Les 6 niveaux de management” dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.eu.
  3. Le processus de deuil a été étudié en détail par le Dr. Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre spécialisée dans l’accompagnement des mourants. Elle a identifié une séquence en 5 étapes : déni – colère – marchandages – tristesse – acceptation par lesquelles toute personne confrontée à une phase de deuil, même psychique, doit passer. Voir notamment le chapitre 1 de son livre « Questions & Answers on Death and Dying » - Touchstone, 1974 traduit et disponible en français sous le titre « Accueillir la mort » - Editions du Rocher, 1998.
  4. Dans le chapitre 2 de son livre « The First 90 Days: Critical Success Strategies for New Leaders at All Levels », Michael Watkins propose une méthodologie détaillée pour faciliter ce processus d’apprentissage.
  5. Voir notamment la série de questions en annexe 2A du livre « Hit the Ground Running: A Woman’s Guide to Success for the First 100 Days on the Job » de Liz Cornish - MacGraw-Hill, 2006.
  6. Un excellent article sur la façon de gérer son N+1 est « Managing Your Boss » de John J. Gabarro et John P. Kotter – Harvard Business Review Classics, 2008
  7. Voir l’article intitulé “L’agenda stratégique” dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.eu.
  8. Ces « bonnes » questions sont par exemple : « Qu’est-ce qui fait que cette organisation est unique ? », « Quelles sont les personnes les plus/moins respectées dans cette organisation et pourquoi ? », « Qu’est-ce que ces personnes partagent en commun ? », « Quels sont les traits communs des succès/échecs majeurs qu’a connu cette organisation ? », etc.
  9. L’idée du choix conscient d’une des trois approches par rapport à la culture provident du livre « The New Leaders 100-Day Action Plan: How to Take Charge, Build Your Team, and Get Immediate Results » de George Bradt, Jayme Check et Jorge Pedraza - John Wiley & Sons, 2006. Un très bon ouvrage sur la question de la culture organisationnelle et l’impact du leadership est « Organizational Culture and Leadership » d’Edgard H. Schein – Jossey-Bass, 2004.
  10. Voir l’article intitulé « Réflexion sur les enjeux » dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.eu.