PRISE DE FONCTION - LES 6 NIVEAUX DE MANAGEMENT

Un niveau de management n’est pas l’autre. De manière extrême, il est clair que les attentes d’une entreprise ne sont pas les mêmes vis-à-vis de son CEO que vis-à-vis d’un jeune manager en première ligne. Chaque organisation a de nombreux échelons hiérarchiques avec leurs enjeux et écueils spécifiques. Le Pr. Ram Charan et ses collègues (1) ont répertorié six niveaux de management bien distincts : manager en première ligne, manager de managers, manager fonctionnel, business manager, group manager et CEO. Chaque niveau de management nécessite un set de compétences, de valeurs et d’emploi du temps bien particulier.

Je voudrais analyser dans ce document les implications du passage d’un niveau de management à un autre afin d’en tenir compte durant les « 100 premiers jours » d’une prise de fonction. J’ai en effet constaté que les individus étaient plus ouverts et réceptifs à un changement de posture dans les premiers jours d’un nouveau mandat ou lorsqu’ils étaient en difficulté. Autant profiter de cette ouverture d’esprit dès les premiers jours...

Niveau 1 - Manager en première ligne

Les jeunes employés démarrent leur carrière comme contributeurs individuels. Qu’ils soient dans une fonction de staff ou une fonction opérationnelle, leurs compétences sont essentiellement techniques ou professionnelles. Les contributeurs individuels les plus capables se verront souvent promus à un poste de manager en première ligne où ils devront manager d’autres personnes pour la première fois de leur vie. Le passage de contributeur individuel à manager nécessite un ajustement important dans l’état d’esprit de la personne, ainsi que dans ses compétences, son emploi du temps et ses valeurs de travail, et ce dès le moment où il accepte sa promotion (2).

  • Etat d’esprit : le jeune manager doit passer du « je » au « nous ».
  • Compétences : l’expertise technique ou professionnelle doit être remplacée par des compétences managériales (planification, établissement de budgets, gestion de projets, définition des rôles, sélection de profils, allocation des ressources, gestion de réunions, évaluation des collaborateurs, mesures de performance, mise en place de processus,…) et des qualités de leadership (vision commune, délégation, motivation, coaching, feedback, gestion de conflits,…). 
  • Emploi du temps : le nouveau manager allouera son temps à préparer, planifier, prioriser, suivre, écouter, animer, négocier, communiquer,… plutôt qu’à exécuter lui-même les tâches.
  • Valeurs de travail : succès de l’équipe et de ses membres plutôt que son succès personnel, porteur de sens, exemplarité, discipline.

L’enjeu majeur pour le jeune manager sera d’accepter que son expertise fonctionnelle et sa maîtrise du contenu – qualités qui l’ont mené à sa promotion – doivent être abandonnées et remplacées par des qualités managériales, de leadership et de maîtrise de processus.

Niveau 2 - Manager de managers

Lorsque le manager en première ligne fait ses preuves et répond aux attentes de résultats de sa hiérarchie, il est promu à un niveau supérieur de responsabilités. Certaines promotions permettent à la personne d’accéder au poste de manager de managers qui comme son nom l’indique oblige l’individu à gérer un niveau intermédiaire entre lui et les contributeurs individuels. Dans beaucoup d’organisations occidentales, il s’agit du niveau de Senior Manager. Ram Charan estime que malgré les apparences, diriger des managers nécessite un nouveau saut quantique dans la posture du manager tant en termes d’état d’esprit, que de compétences, emploi du temps et valeurs de travail. 

  • Etat d’esprit : le manager de managers doit passer du « je mène une équipe » à « j’aide mes managers à mener leurs équipes ».
  • Compétences : tant les compétences managériales (sélection et formation des managers, responsabilisation des managers, allocation des ressources entre les équipes, gestion des frontières entre équipes, planification, négociation et consolidation de budgets, …) que les qualités de leadership (vision commune, stratégie, alignement, délégation, motivation, coaching, feedback, travail sur la culture,…) visent à aider les managers en première ligne à monter en puissance. 
  • Emploi du temps : le manager de managers allouera son temps à créer un team solide, à développer le talent managérial de ses managers, à faire en sorte que la vision soit partagée, à gérer les frontières internes et externes, à responsabiliser ses managers, … plutôt qu’à leur mettre sans arrêt la pression pour que le travail soit fait.
  • Valeurs de travail : culture de confiance et de responsabilisation.

L’enjeu majeur pour le manager de managers sera d’accepter que ce n’est plus lui qui mène les équipes à produire les résultats attendus par la hiérarchie mais ses managers et que son rôle consiste à fournir à ces derniers un contexte à la fois protecteur et nourricier pour qu’ils puissent s’acquitter de leur mission dans les meilleures conditions.

Niveau 3 - Manager fonctionnel

Il s’agit là d’une solide promotion. A ce niveau, le manager bénéficie d’une forte visibilité et est en contact direct avec le top management. Dans nos organisations, il s’agit souvent d’un directeur de département. Le manager fonctionnel occupe une position stratégique et est généralement en charge d’un large spectre de domaines d’expertise. Certains de ces domaines lui sont d’ailleurs étrangers car il n’a pas eu l’occasion de s’y familiariser au cours de sa carrière. Voyons en quoi ce niveau nécessite une posture différente de celles des deux niveaux précédents en termes d’état d’esprit, de compétences, d’emploi du temps et de valeurs de travail. 

  • Etat d’esprit : le manager fonctionnel doit disposer d’une bonne maturité de leader et comprendre l’impact de sa fonction sur les objectifs globaux de l’organisation, et ce à partir de multiples perspectives.
  • Compétences : parmi les compétences essentielles du manager fonctionnel, on retrouve les compétences stratégiques (Quels sont les objectifs stratégiques de l’organisation ?, En quoi mon département contribue à l’atteinte de ces objectifs ?, Comment faire pour que mon département interagisse au mieux avec les autres départements ?, Comment le préparer aux enjeux futurs de l’organisation ?,…), la capacité à rapidement comprendre les données nouvelles et complexes et à les intégrer dans le paysage stratégique, et la capacité à communiquer à tous les niveaux de l’organisation et à l’extérieur. 
  • Emploi du temps : le manager fonctionnel allouera son temps à aligner les actions de son département sur la stratégie globale, à anticiper les besoins et les obstacles, à écouter et à intégrer des cadres de référence différents.
  • Valeurs de travail : intégration de domaines d’expertise différents et alignement sur la vision globale.

L’enjeu majeur pour le manager fonctionnel sera de passer au niveau stratégique et d’être à l’aise avec la complexité.

Niveau 4 – Business Manager

Les business managers sont responsables de toute une business unit, que ce soit un pays ou une ligne de produits, et doivent rendre des comptes tant en termes de chiffres d’affaire que de bénéfices. Dans beaucoup d’organisations, c’est le niveau des Country Managers et VP. Le business manager bénéficie généralement d’une grande autonomie mais doit gérer de lourdes responsabilités et être à l’aise avec la complexité d’une organisation. Cela nécessite un changement majeur au niveau de l’état d’esprit, des compétences, de l’emploi du temps et des valeurs de travail. 

  • Etat d’esprit : le business manager doit évoluer dans un cadre de référence encore plus large et complexe que celui du manager fonctionnel car il intégrera l’ensemble des fonctions internes à l’entreprise (R&D, production, marketing, ventes, RH, juridique, compta, audit,…) et interagira davantage avec les parties prenantes extérieures (clients, fournisseurs, concurrents, syndicats, pouvoirs publics, journalistes, financiers,…).
  • Compétences : le business manager doit fédérer et faire avancer toutes les composantes d’une business unit dans une optique de résultats. Pour ce faire, il devra sans cesse intégrer les aspects stratégiques, organisationnels et humains. 
  • Emploi du temps : le business manager allouera son temps à comprendre les attentes du marché, à définir une stratégie adéquate, à mettre en place une structure optimale et des processus stratégiques fluides, à créer une culture appropriée,… Il gérera l’équilibre entre les résultats opérationnels à court terme et le positionnement à long terme, et l‘équilibre entre les intérêts de sa propre business unit et ceux de l’organisation globale.
  • Valeurs de travail : ouverture, flexibilité, détermination et leadership.

L’enjeu majeur pour le business manager sera de faire avancer toute son organisation.

Niveau 5 – Group Manager

Ce niveau est subtil et souvent frustrant. Les group managers supervisent plusieurs business managers et n’ont que peu de prise sur la réalité des affaires. Ils doivent allouer les ressources entre les business units, gérer une stratégie de portefeuille, et coacher les business managers  sans marcher sur leurs plates-bandes. Dans nos organisations, c’est le niveau des directeurs de région (p.ex. EMEA) ou Executive/Senior VP. C’est dans leurs rangs que l’organisation identifiera les futurs candidats au poste de CEO. Analysons les implications du passage à ce niveau en termes d’état d’esprit, de compétences, d’emploi du temps et de valeurs de travail. 

  • Etat d’esprit : le group manager doit lâcher prise par rapport à une prise directe sur la stratégie et le business. Dorénavant, son rôle est de valider la stratégie de ses business managers mais pas de la définir à leur place. Il agit comme relais entre le CEO et les business units.
  • Compétences : le group manager doit identifier les futurs business managers parmi les managers fonctionnels, coacher les business managers, arbitrer les demandes des business units en termes de ressources, gérer le portefeuille d’activités en ligne avec la vision globale de l’entreprise et être à l’aise avec la partie immergée de l’organisation (culture, aspects politiques, opportunités cachées, menaces potentielles,…).
  • Emploi du temps : le group manager allouera son temps à faire en sorte que le portefeuille des business units soit optimalisé et en ligne avec la stratégie globale du groupe. En collaboration avec le CEO, il préparera le futur de l’organisation.
  • Valeurs de travail : influence plutôt que contrôle, anticipation et arbitrage.

L’enjeu majeur pour le group manager sera d’optimiser le portefeuille d’activités sous sa responsabilité au fil du temps.

Niveau 6 – CEO

Le degré de reconnaissance lié au poste de CEO est en rapport avec le degré de risque. A cet ultime niveau, la complexité est maximale et la tolérance à l’erreur minime. Le CEO est responsable de la croissance continue et de la profitabilité de l’organisation. Sa visibilité est totale vis-à-vis de l’ensemble des acteurs internes (conseil d’administration, top management, employés, délégués syndicaux,…) et externes (clients, concurrents, fournisseurs, analystes, journalistes, pouvoirs publics, associations,…).

  • Etat d’esprit : tel un capitaine, le CEO sait où il veut mener l’organisation et doit faire en sorte qu’elle y arrive malgré les inévitables obstacles et vents contraires.
  • Compétences : Toujours maître de lui et du cap fixé, le CEO instille une culture renforçant la stratégie globale et sa mise en oeuvre. Il gère l’équilibre entre le court et le long terme.
  • Emploi du temps : le CEO allouera son temps à faire en sorte que l’ensemble des acteurs internes et externes sachent où va l’entreprise et travaillent de concert dans ce sens. Plus que quiconque, il pose inlas­sablement des questions « candides »(3), écoute, met en perspective, anticipe, confronte, communique,…
  • Valeurs de travail : vision, ouverture, anticipation, culture de responsabilisation et d’exécution.

L’enjeu majeur pour le CEO est de garantir la croissance et la pérennité de l’organisation dans le respect de sa mission et de ses valeurs.

Conclusion

Chaque passage d’un niveau de management au suivant nécessite un nouvel état d’esprit et un set de compétences, de valeurs et d’emploi du temps particulier. Les leaders démarrant dans une nouvelle position doivent admettre que certaines de leurs compétences, qualités et comportements ayant contribué à leurs succès antérieurs ne leur garantiront plus nécessairement la réussite future et que leurs anciennes connaissances peuvent ne plus être d’application. Une telle prise de conscience peut provoquer chez ces leaders un sentiment de vulnérabilité au moment même où ils ont besoin d’une solide confiance en eux. Cependant ne pas accepter cette vulnérabilité momentanée provoque souvent des dysfonctionnements non seulement au niveau du leader mais aussi au travers de tous les échelons organisationnels dépendant d’eux.

Plus tôt les managers seront sensibilisés et préparés aux spécificités de chaque niveau de management, mieux ils réussiront à relever les défis liés à leur fonction et à augmenter le degré de motivation des équipes. Ils seront aussi mieux préparés à accéder aux niveaux hiérarchiques supérieurs.

 

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  1. Voir “The Leadership Pipeline: How to Build the Leadership-Powered Company” de Ram Charan, Stephen Drotter et James Noel - Jossey-Bass, San Francisco, 2001 dont les travaux sont basés sur le modèle “Critical Career Crossroad” développé au début des années ‘70 par Walter Mahler, consultant américain en RH.
  2. Voir l’article intitulé «Les 7 choses à faire avant le 1er jour » dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.be.
  3. Dans le chapitre 2 de son livre “Winning” – HarperCollins, 2005, Jack Welch nomme la candeur « the biggest dirty little secret in business ».