LES 100 PREMIERS JOURS DANS UNE NOUVELLE FONCTION DE LEADERSHIP

Il existe une période particulière dans tout mandat, qu’il soit politique ou privé : ce sont les 100 premiers jours. Le démarrage dans une nouvelle fonction est une période assez ambiguë. Elle est généralement réputée comme période de grâce accordant au nouveau dirigeant le temps de se forger une opinion sur la situation et d’identifier les défis à relever. Dans la pratique, il s’avère que la pression est bien présente, et ce dès le premier jour. Le nouvel entourage est presque immédiatement en attente de directives claires, d’un plan d’action motivant et porteur, d’une stratégie établie pour les prochains mois voire les prochaines années. Il est également porté à analyser spontanément les faits et gestes du nouveau venu et à se forger une opinion à son égard qu’il sera extrêmement difficile de modifier.  L’adage “You never get a second chance to make a first good impression” se révèle particulièrement d’actualité dans ce contexte. C’est souvent à ce moment-là que les dés sont jetés et qu’on peut prédire les chances de succès du mandat du dirigeant. Finis origine pendet (la fin dépend du début) disait déjà le poète Romain Manlius.

Je voudrais vous livrer dans cet article mes réflexions sur les véritables enjeux du démarrage dans une nouvelle position de leadership, et ce tant pour l’individu que pour l’organisation. Etant plus en contact avec le monde de l’entreprise, j’étudierai les enjeux dans ce contexte-là mais j’espère que les lecteurs issus des secteurs académique, politique et non-marchand y retrouveront également des enseignements intéressants.

Remarque préalable : Pour des raisons de simplicité, j’utiliserai ici indifféremment les termes manager, leader et dirigeant. Nous verrons dans un autre article les différences – importantes – à tenir en compte lors d’une prise de poste en fonction du niveau de management dans l’organisation (manager de 1er niveau, de 2ème niveau,… jusqu’au CEO). (1)

Enjeux pour le manager

  • « Charité bien ordonnée commence par soi-même » dit-on. Je crois que le premier enjeu du manager en prise de poste est son niveau de confort personnel. Un démarrage réussi passe par la gestion et le maintien d’un « bien être » intérieur permettant notamment de gérer le stress inhérent à la prise d’un nouveau poste dans un univers pratiquement inconnu, et ce même au sein de la même entreprise.  Le manager est confronté à une nouvelle équipe, à de nouveaux supérieur(s) et collègues, à de nouveaux clients et fournisseurs, à une nouvelle vision, à une nouvelle culture, à de nouveaux arcanes politiques,… Il est d’une part flatté d’avoir été promu, reconnu dans ses compétences et son potentiel, heureux voire enorgueilli de son nouveau statut, et d’autre part inquiet de ce qui l’attend : sera-t-il à la hauteur ? La plupart des dirigeants ne l’avoueront pas car ils doivent rassurer leur entourage mais la tension intérieure est forte. Le manager entrant sait qu’il n’a pratiquement pas droit à l’erreur. Si les faux pas s’accumulent en phase de démarrage, les doutes l’envahiront, le stress négatif augmentera et sa confiance en lui diminuera, engendrant une augmentation de la rigidité mentale et relationnelle, cause d’erreurs supplémen­taires (2). Le risque de partir en vrille et de s’épuiser (burn-out) est réel. En collaboration avec le Dr. Patrick Mesters (3) et son équipe, j’accompagne également des personnes confrontées à une problématique d’épuise­ment professionnel et je vois à quel point leur estime d’elles-mêmes est affectée.
  • Un deuxième enjeu pour le manager est bien sûr son image. Il faut du temps et de nombreux succès pour bâtir une réputation ; il en faut beaucoup moins pour la ternir. Durant ses trois premiers mois de prise de poste, le nouveau dirigeant sera constamment observé et jugé : le moindre de ses gestes, mots, prise de position, … sera détecté, commenté, amplifié. Il est frappant de voir à quelle vitesse se forge l’image négative d’une personne sur base de quelques faits ponctuels, sans tenir compte de l’ensemble de son parcours. Faire changer cette image se révèle ardu voire impossible. La réputation d’un manager est fragile or elle est le fondement de sa carrière future. Rater le démarrage dans une nouvelle fonction de leadership peut durablement affecter l’image d’un dirigeant et compromettre la suite de sa carrière. (4)

Enjeux pour l’entreprise

Les enjeux pour l’entreprise sont tout aussi importants. J’en distinguerai quatre : les résultats, la motivation, la réputation et la préparation de la relève.

  • La réussite d’un dirigeant en phase de démarrage influence les performances et résultats du département ou de l’organi­sation. Si le manager comprend ce qu’on attend de lui, s’entoure de personnes compétentes, définit une vision claire et la communique au travers de ses équipes, crée une culture d’empowerment, engrange rapidement quelques succès visibles pour asseoir sa crédibilité et renforcer la cohésion dans ses équipes, garde le cap malgré les inévitables obstacles, il a de fortes chances d’atteindre de hauts niveaux de performance et de résultats. A contrario, s’il s’empêtre dans du micro-management ou dans des rapports de pouvoir, les résultats en seront affectés. (5)
  • La motivation des équipes est un des éléments essentiels à gérer dès les tous premiers jours d’un mandat de leadership. Le mode de communication, le processus décisionnel et le style de leadership seront perçus très rapidement comme motivants ou démotivants par les meneurs dans les équipes. Si les personnes et les équipes se sentent respectées, inspirées et mises en puissance par le nouveau leader, elles seront motivées. Elles attireront d’autres individus brillants et enthousiastes, et surtout elles n’auront aucun mal à conserver les éléments valables en leur sein. A l’inverse, un manager s’y prenant mal avec les individus et les équipes fera fuir les éléments brillants et affectera durablement la motivation et donc les performances de ses équipes. (6)
  • Un dirigeant est aussi en contact avec le monde extérieur. Sa capacité à écouter, le respect de ses interlocuteurs, la clarté et la cohérence de ses messages auront un impact direct sur la réputation de l’entreprise. A nouveau, une bonne première impression aura des effets durables dans l’esprit des clients et des autres parties prenantes (stakeholders). Il s’agit d’un atout trop important pour être négligé. (7)
  • Enfin, l’entreprise a intérêt à maximiser les chances de réussite de ses managers à tous niveaux car elle prépare ainsi la relève aux niveaux les plus élevés de l’organisation. Toute entreprise doit veiller à alimenter son « pipeline de leaders » au travers des différents niveaux hiérarchiques. Les managers de premier niveau seront peut-être les plus hauts dirigeants de demain. Le capital de leadership est inestimable pour une entreprise. C’est en prenant soin des prises de poste de leadership dès les premiers échelons qu’elle garantit la pérennité du leadership au sommet. (8)

Conclusion

Nous l’avons vu, les enjeux en phase de démarrage sont primordiaux, tant pour le dirigeant que pour l’entreprise.

Or, mon expérience m’amène à constater que peu de managers et/ou d’entreprises prennent les mesures adéquates pour maximiser les chances de succès lors de l’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant.

Les trois axes de développement des individus dans l’entreprise, à savoir la formation, le coaching et le mentoring, ont certainement leur utilité à cet égard. Dans un futur article, j’exposerai les apports particuliers de chacun de ces trois axes.

Je terminerai par la réflexion d’un de mes amis coachs, ancien VP et membre du comité exécutif dans une importante société industrielle : « N’est-il pas incroyable que les entreprises paient un programme d’outplacement aux managers dont elles se séparent, et n’investissent pas dans un programme d’accompagnement pour leurs leaders en phase de démarrage dans une nouvelle fonction ? »

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  1. Voir l’article intitulé “Les 6 niveaux de management” dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.eu.
  2. Will Schutz, grand psychologue américain et auteur du livre « L’Elément Humain » - InterEditions, estime que la rigidité des individus est le principal obstacle à la performance des entreprises
  3. Dr. Patrick Mesters, neuropsychiatre, spécialiste du burn-out,  directeur de l’Institut Européen d’Intervention et de Recherche du Burn-out en Entreprise, et co-auteur du livre « Vaincre l’épuisement professionnel – Toutes les clés pour comprendre le burn-out» - Robert Laffont.
  4. Pour les férus d’histoire, voir le livre « FDR : The First Hundred Days » écrit par Anthony J. Badger sur le tout début du premier des quatre mandats successifs de Franklin Roosevelt et le fameux « New Deal ».
  5. Voir l’étude renommée de Jim Collins et de son équipe expliquée dans son livre « Good to Great » - HarperCollins Publishers, 2001
  6. Un très bon livre sur ce thème de la motivation des personnes et des équipes et de leur loyauté est «Keeping People Who Keep You in Business » de Leigh Branham – Amacom, 2001.
  7. Il existe une multitude d’ouvrages traitant de ce sujet. Tom Peters et Robert H. Waterman Jr furent parmi les précurseurs dans « In Search of Excellence » - Harper & Row Publishers, 1982.
  8. Voir le chapitre VIII du phénoménal « Built to Last: Successful Habits of Visionary Companies » écrit par Jim Collins et Jerry Porras - HarperBusiness, 1994 ainsi que « The Leadership Pipeline : How to Build the Leadership-Powered Company » par Ram Charan, Stephen Drotter et James Noel – John Wiley & Sons, 2001