PRISE DE FONCTION - LES 10 ECUEILS LES PLUS COURANTS

La promotion d’un manager à un nouveau poste de leadership est toujours une grande source de satisfaction pour l’intéressé. Il s’agit en effet d’une reconnaissance de ses réalisations, de ses compétences et de son potentiel. Fier et confiant, il ne se doute pas de la série d’écueils qui l’attendent dans sa nouvelle fonction, particulièrement les premiers jours de son nouveau mandat.

Les études (1) montrent que plus d’un tiers des leaders prenant une nouvelle position échouent dans leurs 18 premiers mois. Un autre tiers s’en sort plus ou moins mais reconnaît a posteriori avoir perdu beaucoup de temps. Autant tirer profit de leurs enseignements !

J’ai répertorié dans cet article les dix écueils les plus courants qu’un manager doit éviter lorsqu’il démarre une nouvelle fonction de leadership. Cette liste est à la fois basée sur les ouvrages et articles  que j’ai pu lire sur le sujet (2), sur mes propres expériences en tant que dirigeant, et sur mes observations en tant qu’executive coach.

Remarque préalable : Pour des raisons de simplicité, j’utiliserai ici indifféremment les termes manager, leader et dirigeant. Nous verrons dans un autre article les différences – importantes – à prendre en compte lors d’une prise de poste en fonction du niveau de management dans l’organisation (manager de 1er niveau, de 2ème niveau,… jusqu’au CEO). (3)

Ecueil #1 – Attendre le 1er jour avant de s’y mettre

Le succès d’une prise de poste dépend de la qualité de la préparation avant le premier jour. Quelque soit le niveau de leadership de la nouvelle position, le manager veillera à :

  • rassembler toute l’information et les documents lui permettant d’en apprendre un maximum sur son nouvel environne­ment ;
  • identifier les personnes-clés (N+1, les pairs, les collaborateurs principaux, certains clients et les personnes de support) et les rencontrera de préférence en face à face, sinon par téléphone en respectant un certain ordre de « préséance » et en leur posant des questions préparées à l’avance ;
  • préparer soigneusement son agenda stratégique pour les 100 premiers jours afin de s’assurer à garder le cap au cœur de cette période chaotique (4) ;
  • s’assurer que quelqu’un aura réglé tous les aspects logistiques (bureau, mobilier, tableau, téléphone, PC, clés, cartes d’accès, badges,…) avant son arrivée dans son nouvel environnement.

Or, pris dans le tourbillon des affaires courantes et dans l’intention louable de clôturer leur ancien job dans les meilleures conditions, beaucoup de managers ne prennent pas le temps nécessaire pour préparer leur nouvelle prise de fonction.

Ecueil #2 – Oublier d’écouter

La plupart du temps, la prise de nouvelles responsabilités se fait dans un climat d’urgence et de fortes pressions. Les attentes sont élevées et les enjeux importants. Le dirigeant s’est rapidement fait son idée sur les priorités et n’a pas envie de perdre du temps à remettre sa vision en question. Conforté par sa promotion – signal fort d’une reconnaissance de ses compétences – il se sent souvent investi d’une mission de sauveur au risque de ne plus se donner la peine de demander et d’écouter l’avis des personnes plus au fait de la réalité du terrain : la gens de la base, les clients, les partenaires,... Il s’agit là d’une erreur fréquente et aux conséquences désastreuses : erreur de vision, choix de mauvaises priorités, démotivation des équipes, incapacité à détecter les opportunités,… autant de causes majeures d’échec. Jack Welch, l’ancien CEO de General Electric et considéré par beaucoup de ses pairs comme un des meilleurs dirigeants d’entreprise de tous les temps, prône les vertus de la candeur et de l’écoute vraie (5). A ses yeux, ces deux qualités sont le fondement du succès de GE au travers des décennies.

Ecueil #3 – Se précipiter

Toujours dans ce contexte de fortes pressions et d’attentes importantes de toutes les parties prenantes, le nouveau manager aura tendance à se précipiter dans ses décisions. Cette tendance sera renforcée par son envie d’imprimer rapidement son empreinte et de montrer qu’il est l’homme (ou la femme) de la situation. Cette erreur - surtout si elle est combinée aux écueils #2 et #7 - peut être fatale. Mais l’autre extrême, celui de perdre du temps à sur-analyser la situation, est tout autant dangereux. Le manager devra donc trouver le juste milieu en identifiant les sources fiables d’informations, en posant les bonnes questions et en étant réellement ouvert au feedback, même non sollicité. 

Ecueil #4 – Mettre la barre trop haut

Ici également un problème d’ego. Gonflé à bloc par sa promotion, le leader aura tendance à fixer des objectifs irréalistes pour renforcer son image de gagnant. Le risque de désillusion est élevé. Le dirigeant sera forcé de mettre une inutile pression sur ses équipes, ce qui affectera leur cohésion et leur motivation. Sa crédibilité tant aux yeux de ses collaborateurs que de sa hiérarchie sera atteinte. Son niveau de stress négatif augmentera et il aura tendance à se rabattre sur ses vieilles recettes (voir écueil #5), ce qui renforcera le cercle vicieux.

Ecueil #5 – S’accrocher à ses vieilles recettes

Cet écueil est très fréquent. Les managers ont tendance à se raccrocher aux comportements, techniques et stratégies qui ont fait leur succès dans leur fonction précédente. Le raisonnement est évident : « Puisque ces recettes ont contribué à ma promotion, je continue dans cette voie. » Or un nouveau niveau de leadership consiste le plus souvent en un saut quantique en termes de processus de management. Les compétences managériales du niveau précédent doivent être sérieusement remises en question car la plupart du temps, elles ne sont plus appropriées à la nouvelle fonction. Diriger des managers est différent que de diriger des contributeurs individuels. Je constate souvent chez les managers de 2ème niveau (senior managers) et même de 3ème niveau (directeurs) une difficulté majeure à lâcher leur expertise technique. Ils se mêlent de détails techniques, sur contrôlent leurs équipes, et ont du mal à déléguer. Faire le deuil de ce qui a contribué à notre réussite est difficile à admettre, d’abord intellectuellement et puis surtout émotionnellement. L’accompagnement des managers à ces niveaux consiste souvent à les aider à faire ce passage.

Ecueil #6 – Rester dans sa tour d’ivoire 

Les ouvrages de management – truffés de témoignages de dirigeants réputés - le clament haut et fort depuis trois ou quatre décennies : les leaders doivent régulièrement descendre sur le terrain, rencontrer les gens de la base, les clients, les fournisseurs et être directement en prise avec les réalités du marché. Pourtant, combien d’entre eux prennent le temps de descendre dans l’arène ? Coincés dans des agendas surchargés, ils se fient à leurs relais d’information classiques et ne disposent dès lors que de données indirectes, filtrées, de deuxième main. Rien ne vaut un contact direct avec le marché pour « sentir » les nouveaux enjeux, les nouvelles opportunités, les nouvelles menaces, et vérifier si la vision de l’entreprise est toujours correcte, si elle est bien comprise ou s’il est temps d’ajuster le tir.

Ecueil #7 – Ne pas chercher ni entendre le vrai feedback

Voici un écueil plus subtil. La plupart des dirigeants recherchent activement un certain type de feedback. Ils sont toujours en demande d’informations sur le marché, les produits, les programmes en cours et les aspects organisationnels. Par contre, très peu d’entre eux ont une oreille attentive pour tout ce qui touche leur propre style de management. Convaincus qu’ils doivent immédiatement donner une image forte et rassurante d’un capitaine confiant dans la trajectoire de son navire, ils n’osent pas - ou ne veulent pas - entendre de critiques quant à leur manière de diriger ou de fonctionner. « S’il fallait écouter toutes les critiques et les avis contraires, nous n’avancerions pas ! » est une remarque courante et correcte jusqu’à un certain point. Mais l’excès nuit. En muselant leur entourage et en s’entourant de bénis-oui-oui, les dirigeants satisfont certes leur ego mais désactivent leur radar et naviguent dès lors de plus en plus à l’aveugle au risque d’un naufrage.

Ecueil #8 – Attendre pour déplacer les personnes

Il s’agit ici d’un point délicat. La nécessité de constituer une équipe forte et compétente est une évidence intellectuelle. La mise en pratique est beaucoup moins simple et ce, pour trois causes majeures.

  • La première est liée au dirigeant lui-même : attentisme, manque de courage, peur de mal faire, pitié, autant de raisons pour ne pas déplacer des personnes qui ne sont plus à leur place dans l’équipe dirigeante pour les remplacer par des profils plus adéquats. Il est frappant d’entendre ou de lire les témoignages de dirigeants à cet égard. Ils regrettent unanimement d’avoir attendu trop longtemps avant de s’être séparés de personnes inadéquates.
  • La deuxième raison est exogène et liée à la législation sociale dans nos pays européens. Il est de plus en plus difficile et onéreux de se séparer de cadres et d’employés dont le profil ne correspond plus aux nécessités de l’organisation. Je suis convaincu que la performance de nos entreprises en pâtit et que plus de flexibilité à cet égard ne serait absolument pas contraire au respect des individus.
  • La troisième raison est le long laps de temps nécessaire pour trouver de nouveaux talents en dehors de l’entreprise. Une amie spécialisée dans l’executive search me disait récemment qu’entre le moment où le nouveau profil était établi et l’entrée en fonction effective de la personne, il fallait compter au moins cinq mois. Nous sommes déjà bien au-delà de la période des premiers cent jours du dirigeant qui souhaite s’entourer rapidement d’une équipe de profils adéquats. Cette difficulté démontre l’importance pour l’entreprise d’avoir un pipeline de leadership suffisamment alimenté. Nous y reviendrons dans un autre article.

Ecueil #9 – Choisir les mauvaises priorités

Beaucoup de nouveaux leaders ont tendance à concentrer leur attention et leur énergie sur les domaines problématiques : un produit ou un marché à la traîne, une business unit en perte de vitesse, un directeur qui accumule les erreurs. C’est acceptable pour autant que les domaines qui tournent bien soient suivis avec le même niveau d’intérêt et de support. Il s’agit de suivre autant les gagnants que les coureurs en queue de peloton. Dans le même ordre d’idée, c’est une erreur de se concentrer uniquement sur les grands projets au détriment des petits. Délaissés, ces projets de moindre importance peuvent rapidement enrayer toute la mécanique. Ils peuvent également contenir de belles opportunités. Un dirigeant ne peut tout couvrir et il doit établir des priorités. Choisir les bonnes priorités demande un certain flair, une bonne écoute, une ouverture au feedback et la capacité à rapidement reconnaître ses erreurs.

Ecueil #10 – Oublier d’équilibrer le court et le long terme

Un bon leader sait que pour asseoir sa crédibilité et renforcer la motivation de ses équipes, il doit rapidement livrer des résultats et des réussites. Tout en gardant l’objectif global en tête et en se référant sans relâche à la vision à long terme de son organisation, il saura identifier quelques batailles dont la victoire est pratiquement assurée. Or, beaucoup de managers, tellement préoccupés par la mise en œuvre de leur vision à long terme, négligent les victoires à court terme. L’inverse est tout aussi courant : certains managers sont tellement obnubilés par l’atteinte d’objectifs trimestriels qu’ils en oublient de définir et de communiquer une vision forte et inspirante, garante d’une forte cohésion des équipes et de bonnes performances sur le long terme. Trouver le juste équilibre entre le court terme et le long terme est une qualité essentielle au fur et à mesure que l’on gravit les échelons de la hiérarchie. Faillir à gérer cet équilibre dès le début d’un nouveau mandat fut fatal à de nombreux dirigeants.

Conclusion

La phase de démarrage dans un poste de leadership est une phase délicate et les écueils nombreux. Le nouveau dirigeant devra cependant y être attentif et intervenir immédiatement en cas de dérapage car ces obstacles ont la fâcheuse tendance à se renforcer les uns les autres, générant ainsi une cascade d’échecs dont il est difficile de se dégager. Chaque écueil a cependant son antidote. Nous en avons abordé quelques uns dans cet article. Les plus importants sont sans conteste l’écoute vraie,  l’ouverture à des vues divergentes et la capacité à se remettre en question. Nous verrons dans un autre article l’utilité d’un agenda stratégique et d’un tableau de bord pour aider les managers nouvellement promus à de nouvelles responsabilités à éviter ces écueils.

Je terminerai en citant une remarque d’un dirigeant d’une société d’assurances : « Je ne m’attendais pas à ce que diriger une entreprise soit si difficile et demande une attention de tous les instants, mais c’est passionnant ! »

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  1. Le magazine Human Resources du 21 août 2004 cite une étude de Right Management mentionnant un taux d’échec de 35%. Une autre étude du magazine Leadership IQ du 20 septembre 2005 mentionne même un chiffre de 46% d’échecs sur les premiers 18 mois. Dans son article « Don’t Blow Your Job » du 22 juin 1998 paru dans Fortune, Anne Fisher citait déjà un taux de 40% provenant d’une étude du Center for Creative Leadership. 
  2. Deux livres sont exclusivement consacrés sur l’analyse des causes d’échecs de dirigeants : « Why Smart Executives Fail And What You Can Learn from Their Mistakes » du Prof. Sydney Finkelstein - Portfolio (Penguin Putman), 2003 et « Why CEOs Fail: The 11 Behaviors Than Can Derail Your Climb to the Top and How to Manage Them » de David L. Dotlich et Peter C. Cairo - Jossey-Bass, 2003. Voir aussi le chapitre 8 du livre « You’re in Charge – Now What? – The 8 Point Plan » de Thomas J. Neff et James M. Citrin – Crown Publishing, 2005.
  3. Voir l’article intitulé “Les 6 niveaux de management” dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.be.
  4. Voir l’article intitulé “L’agenda stratégique” dans la série « Les 100 premiers jours dans une nouvelle fonction de leadership » sur www.first100days.be.
  5. Dans le chapitre 2 de son livre “Winning” – HarperCollins, 2005, Jack Welch nomme la candeur « the biggest dirty little secret in business ».